Les noms des lieux lorrains

Pour inaugurer le forum de l'histoire de la Lorraine, je vous propose ce sujet où on pourra raconter l'histoire des noms de lieux lorrains (villes, villages, lieux-dits).

Pour commencer, le nom de "Lorraine" lui-même, dont chacun sait qu'il vient de l'empereur Lothaire....

De Lotharingie à Lorraine
L'histoire d'un nom.

Le royaume dont hérita Lothaire II en 855 s'étendait sur les terres comprises entre la Meuse et le Rhin, de la Mer du Nord à Besançon. Alors que d'autres pays étaient désignés par le nom des peuples qui les habitaient (Alémanie, Lombardie etc...), l'héritage de Lothaire n'avait pas de nom car il était fait de peuples divers. On le nommait par rapport au roi défunt.

Ainsi un document daté de 868 parle des Lotharienses, c'est-à-dire des gens de Lothaire, pour les distinguer des Karlenses, les sujets de Charles le Chauve. De même le pays est nommé par rapport au souverain : Regnum Lothariense ou Regnum Lotharicum, le royaume de Lothaire

Plus tard en 912, les annales d'une abbaye d'Alsace parlent de Hlutaringi ou encore de Hlodarii pour désigner les sujets de Lothaire et de ses successeurs. Bien que le suffixe -ingi soit normalement réservé aux membres d'une dynastie (la famille du roi comme dans Carolingiens), il s'appliquait ici à tous les habitants. A la fin du Xème siècle Lotharingi (Lotharingiens) finit par l'emporter sur les autres désignations et donna naissance à Lotharingia (Lotharingie).

Il fallut ainsi un siècle pour que s'impose un nom qui désignât le royaume et les peuples de Lothaire et de ses successeurs. Dans l'esprit des chroniqueurs, ce royaume et ce peuple existaient bien en tant que tels puisqu'ils avaient inventé des mots pour les nommer. Ils leur prêtaient d'ailleurs un caractère, comme en témoigne le Saxon Widukind lorsqu'il évoque la ruse dont avait dû user l'empereur Henri 1er l'Oiseleur pour venir à bout des Lotharingiens "...parce que c'est un peuple changeant, habitué aux ruses, prompt à la guerre et prêt à s'adapter aux nouveautés". Un autre historien du Xème siècle mentionne l'existence à la frontière occidentale du royaume de Lothaire "d'une barbarie indomptée, jalouse du bonheur d'autrui et de son propre salut, méprisant les admonestations paternelles du Duc et craignant à peine l'autorité".

Dans la langue courante le mot Lotharingia subit des transformations. Il évolua en particulier vers Lohereigne puis Lorraine, mais aussi Lothier pour les Wallons et Lothringen pour les germanophones. Dans les textes médiévaux, le mot "Lotharingus" pouvait aussi bien désigner un habitant de Toul, de Metz, de Liège ou de Cambrai.

Après le partage de l'ancien royaume de Lothaire II en deux duchés, le nom "Lorraine" s'appliqua progressivement au seul duché méridional, c'est-à-dire l'équivalent des quatre départements lorrains actuels.

merci beaucoup Dagobert pour ce magnifique cours d'histoire. j'espère pour nous (et surtout pour moi ) que tu en as encore quelques uns sous ton chapeau.

Merci pour ces précisions

Citation :

Plus tard en 912, les annales d'une abbaye d'Alsace parlent de Hlutaringi ou encore de Hlodarii pour désigner les sujets de Lothaire et de ses successeurs

Annales de l'abbaye de Murbach?

Citation :

Ils leur prêtaient d'ailleurs un caractère, comme en témoigne le Saxon Widukind lorsqu'il évoque la ruse dont avait dû user l'empereur Henri 1er l'Oiseleur pour venir à bout des Lotharingiens "

Je comprend pas bien ce passage, Widukind est un contemporain de Charlemagne....dont L'Oiseleur est un descendant plutot lointain (arrière arrière petit fils je crois)....à la naissance de L'oiseleur Widukind était déjà mort....à moins que ce soit un homonyme?

En ce qui concerne l'abbaye, je consulterai ma source, le livre de Karlrichard Brühl : "Naissance de deux peuples ; Français - Allemands ; IXe-XIème siècles", et je te dirai ce qu'il en est.

Ce Widukind n'est pas le roi des Saxons, mais le chroniqueur Widukind de Corvey. Le premier a été vaincu puis converti par Charlemagne en 785 et le second a écrit "l'Histoire des Saxons" près d'un siècle plus tard.

Je connais bien le premier mais je ne connaissais pas le second....c'est le problème de l'histoire médiévale...beaucoup d'homonymes

Metz

La première dénomination de Metz, mentionnée dans les Histoires de Tacite et la Géographie de Ptolémée, était "Divodurum".

Plusieurs significations ont été proposées pour ce nom. Il paraît qu’en Breton trégorrois le pluriel du mot "eau" se dit "douro", le mot "deux" accordé au féminin pluriel "diou" ou "Div". Ainsi, les mots "confluent" ou "deux eaux" se traduiraient "Dioudouro" ou "Divdouro". Et justement, Divodurum dominait le confluent de la Seille et de la Moselle. Mais d’autres érudits pensent que le mot gaulois "dour" signifiait simplement "forteresse". Ainsi, Divodurum serait une "forteresse des Dieux".

Quoi qu'il en soit, Divodurum était l’oppidum (ville fortifiée) capitale de la nation gauloise que César appelait "Mediomatrici" : les Médiomatriques. La ville est inscrite sur la copie médiévale d’une carte militaire romaine du IIème – IIIème siècle : la table de Peutinger. Un bon-point à celui qui parviendra à la localiser. Pour vous mettre sur la piste : elle est nommée par rapport à la nation dont elle est le chef-lieu : "Divodurum Mediomatricorum" : Divodurum des Médiomatriques, mais le copiste devait être distrait ou tout simplement ignorant : il a mal coupé les 2 mots, et a écrit "Divo Durmedio Matricorum".

Au IV-Vème siècle se produit un changement important dans les noms en Gaule : les noms des cités s’estompent et il ne subsiste que le nom du peuple qui constituait la cité. Ainsi, Ammien Marcellin appelle la ville "Mediomatrici" ou "Civitas Mediomatricorum".

La forme moderne apparaît peu après, puisque "Mettis" est attestée au Vème siècle.

Le son "T" disparaît vers le XIIIème siècle après une évolution phonétique bien connue des linguistes : dans la langue romane (l'ancien Français), les affriquées (sons "dz" et "tz") perdent leur élément dental : "Mètis" ---> "Mèts" ---> "Mès".
Les langues germaniques conserveront les affriquées et diront Metz avec le T.

Dagobert a écrit:

Plus tard en 912, les annales d'une abbaye d'Alsace parlent de Hlutaringi ou encore de Hlodarii pour désigner les sujets de Lothaire et de ses successeurs.

L'Eclaireur a écrit:

Annales de l'abbaye de Murbach?

Oui, c'est bien des annales de l'abbaye de Murbach qu'il s'agit.

Oui, Divodurum est d'ailleurs citée (même si ce n'est pas une référence) dans l'album "Le tour de Gaule d'Astérix".

D'Aragorn a écrit:

Oui, Divodurum est d'ailleurs citée (même si ce n'est pas une référence) dans l'album "Le tour de Gaule d'Astérix".

Divodurum ?
Non, je ne veux pas de rhum !

Dieulouard

On sait que le nom de cette ville où la grande voie romaine de Lugdunum (Lyon) à Augusta Trevirorum (Trèves) par Divodurum (Metz) traversait la Moselle, était "Scarponna" (cf. la table de Peutinger).

L'historien romain Ammien Marcellin (encore lui) parle de cette ville et nous apprend que le consul romain Jovin y remporta en 366 une victoire sur les Alamans. C'est vers cette même époque (fin du IVe siècle) que fut construit à l'extérieur de la ville un castrum (camp fortifié). C'est aussi à Scarponne qu'Attila franchit la Moselle en 551. Il détruisit la ville, descendit le long de la Moselle et brûla Metz.

En 997 l'évêque de Metz, Adalbéron II construit un nouveau château pour protéger les habitants d’un nouveau village, établi à proximité des ruines de Scarponne.

Des lettres patentes accordées en 1028 par l'empereur Conrad II pour la fondation du prieuré de Gellamont, à proximité de ce château, parlent du "Castrum quod dicitur Deus Louvart in pago Scarponensi in comitatu Richiani" : le château appelé Deus Louvart se trouvant dans le pays de Scarponne, comté de Richer.

"Deus Lou Wart" = "Dieu le garde", en langue romane, ancêtre du patois lorrain.